Fleuve Sénégal : les eaux du partage

lundi 4 décembre 2017

Fleuve Sénégal : les eaux du partage

Le fleuve Sénégal marque la frontière avec le Mali à l’est et la Mauritanie au nord. Du côté sénégalais, c’est un véritable trait d’union entre l’entrée du Sahara et l’océan Atlantique.

La région fluviale constitue une véritable attraction touristique à part, d’un point de vue géographique, avec une diversité de paysages selon que l’on s’approche de l’océan ou que l’on retourne vers les zones semi-désertiques.

Le bassin du fleuve Sénégal

Fleuve de l’Afrique Occidentale, long de 1750 km, le fleuve Sénégal est tributaire de l’océan Atlantique. Il prend naissance dans le Fouta-Djalon (massif montagneux de Guinée Conakry) à 750 m d’altitude.
Issu de l’union du Bafing et du Bakoye près de Bafoulabé, au Mali à 1000km de l’océan Atlantique puis grossi du Baoulé, il traverse la partie occidentale du Mali puis marque la frontière entre la Mauritanie (rive droite) et le Sénégal, contournant par une grande boucle le désert du Ferlo.

Historiquement, il s’agit d’une région centrale qui a connu les premiers royaumes, l’islamisation et la colonisation avec ses différents villages de commerce dispersés le long du fleuve.

La région du fleuve Sénégal

Jetons un coup d’œil à ces villages voisins que nous allons traverser avec le Bou du Mogdad.

Saint-Louis

Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2000, Saint-Louis est le premier comptoir commercial d’Afrique de l’Ouest. Les vieux bâtiments aux couleurs chaudes, avec leurs balcons en fer forgé, témoignent de l’époque coloniale, durant laquelle la ville était très active. En fait, Saint Louis a été proclamée capitale de l’Afrique occidentale française en 1895. Parmi les autres vestiges de cette période, citons l’église, la mosquée, les casernes, le Palais de Justice et le grand hôpital.

Aujourd’hui, Saint-Louis a conservé son atmosphère de village convivial, et le terme de Teranga semble particulièrement adapté. Toujours au centre de la culture, Saint-Louis accueille chaque année le célèbre festival de jazz qui rassemble des groupes et des personnes du monde entier.

Richard-Toll

Richard-Toll est particulièrement connu sous le nom de "caprice du baron Roger". Gouverneur du Sénégal de 1822 à 1826, il fit construire ce bâtiment éblouissant avec des jardins d’essai sur les côtés afin d’entreprendre des recherches agricoles dans le Walo. La gestion de ce jardin a été confiée à un jardinier nommé Richard, d’où le nom de la ville, Richard-toll en wolof (le champ de Richard). Dans ce domaine, il y avait des bâtiments, un four à briques, une péniche à voile et à rames, une roue à eau, une machine à peser, des bœufs, une trentaine d’ouvriers et un poste armé. Depuis 1822, on y cultive des bananiers, des orangers, des goyaviers, de la canne à sucre, du café et du coton.

En 1945, afin de pallier la pénurie alimentaire, l’administration française décide de produire du riz dans le delta du fleuve Sénégal. Des milliers d’hectares de terres ont été équipés d’un système d’irrigation. Ce même système est encore utilisé aujourd’hui par la Compagnie sucrière sénégalaise, qui produit 100 000 tonnes de sucre par an. Il s’agit de la plus grande entreprise agro-industrielle et de la plus importante du pays, employant plus de 8 000 travailleurs.

Dagana

Également connue comme la "capitale du Walo", Dagana témoigne d’un riche passé colonial en raison de sa situation de ville-étape sur le fleuve. En 1820, un fort y a été construit pour protéger le commerce fluvial, car les raids mauresques étaient fréquents. Avec l’arrivée du général Faidherbe, le commerce prospère et des maisons saint-louisiennes sont construites le long des quais. Au XIXe siècle, la crise de la gomme arabique marque la fin de l’activité commerciale de la ville. Aujourd’hui, Dagana approvisionne les régions agricoles productrices de riz.

L’artisanat témoigne ici d’un mélange de cultures : Maures, Wolofs, Peulhs. Les entreprises de tissage, de teinture, de poterie, de fer forgé et de cuir sont encore très présentes.

Podor

Situé à l’extrême nord du pays, Podor se trouve à quelques kilomètres de la frontière mauritanienne. Site occupé dès l’Antiquité, il était un lieu de rencontre privilégié entre les populations sédentaires de la région et les Maures. Enclave commerciale stratégique pendant la période coloniale, les Français ont construit le premier fort en 1744, qui a été restauré en 1854 par le général Faidherbe après avoir été abandonné par les Britanniques. Ce fort reflète le contrôle militaire et administratif français sur la région du Fouta. Les quais de Podor sont également intéressants pour l’alignement de leurs maisons aux murs ocres face à la Mauritanie. Podor était le lieu de passage des commerçants mauritaniens qui traversaient le fleuve millet, la gomme arabique et même l’ambre vers Saint Louis. La région de Podor et les villes environnantes sont constituées d’habitations traditionnelles en argile.

Podor se trouve au pied de ce que l’on appelle "l’île de Morphil", une longue bande de terre dans le fleuve Sénégal, particulièrement appréciée pour ses mosquées. C’est un véritable témoignage de l’empire toucouleur établi dans la région et d’El Hadj Omar Tall, une figure importante de la lutte contre la domination coloniale.

Carte du fleuve Sénégal

Carte Fleuve Sénégal

Les barrages

Manantali

Le barrage de Manantali est situé à environ 1250 km de la mer sur la Bafing (Mali), affluent qui apporte 40 à 60 % des ressources en eau du fleuve Sénégal.
La mise en eau de la retenue de Manantali a commencé en juillet 1987 et s’est poursuivie jusqu’en septembre 1991, date à laquelle le niveau de la retenue a atteint pour la première fois la cote 208,00 m IGN.
La retenue du barrage, à la cote 208,00 au-dessus du niveau de la mer, s’étend sur 450 km2 et atteint une longueur de 80 km. Elle a entraîné l’inondation de 375km²de terres et le déplacement d’une vingtaine de villages vers l’aval.
C’est un barrage de type mixte, de 1500 mètres de longueur en crête, composé d’une partie centrale à contreforts en béton, de 470 m de long, et de deux digues en enrochement respectivement longues de 670 m et 360 m reliant l’ouvrage en béton aux flancs de la vallée. La hauteur du barrage maximum est de 66 m sur fondation.

Sa capacité de 11.5 milliards de m3 a un rôle régulateur. Le barrage permet d’assurer un débit minimum de 200 m3/s de février à juin, nécessaire aux besoins de l’agriculture irriguée de contre-saison et peut éventuellement améliorer la crue naturelle des affluents non régularisés pendant l’hivernage suivant. La crue artificielle ainsi créée est indispensable pour préserver l’environnement dans la vallée et permettre les cultures de décrue, vitales pour les agriculteurs.
Le soutien artificiel d’étiage permet quant à lui de garantir un débit minimal pour l’irrigation, la production hydroélectrique et la navigation.

Les données hydrologiques du bassin versant et des principaux affluents en aval sont recueillies auprès de sept stations pourvues chacune d’une échelle limnimétrique et d’un pluviomètre et contrôlées par des opérateurs communiquant quotidiennement par radio avec l’opérateur du barrage de Manantali.
Il existe depuis 1904 des données sur le fleuve, qui ont permis de réaliser des modèles mathématiques comme des simulations de scénario de demande d’eau.
L’objectif des hydrologues est de définir une crue qui permette d’assurer la recharge des nappes, la culture de décrue sur une zone de 50 000ha, la préservation des écosystèmes tout en minimisant les pertes de production électrique. Cette crue devrait également être compatible avec l’objectif à long terme 255.000 ha aménagés pour l’irrigation, atteignant 375.000 ha en combinaison avec le barrage de Diama.

Cette gestion de la demande d’eau doit prendre en compte des paramètres parfois antagonistes : pêche, navigation, irrigation, santé, pâturage, foret, énergie…

Manantali est en effet un barrage de régulation à but multiple. Il doit à la fois produire de l’électricité, améliorer la navigation et permettre l’irrigation.

La future centrale hydroélectrique comprendra 5 turbines de 40 MW chacune et un débit nominal de 115 m3/s. Elle aura à terme une puissance de 200MW et une production de 8 millions de kWatts/année. 1700 km de lignes haute tension alimenteront en électricité les principales villes des pays membres de l’OMVS, soient : Dakar, Matam, Dagana, Sakal et Tobène (Sénégal), Rosso, Nouakchott, Kaédi et Boghé (Mauritanie) et Bamako et sa région (Mali)
La mise en service du premier groupe de la Centrale de Manantali est prévu en août 2001 et celle du cinquième groupe en mai 2002. Le Mali bénéficiera alors de 52%, Sénégal 33%, Mauritanie 15% de la production.

Conçus pour fonctionner en complémentarité, les barrages de Manantali et de Diama ont dès lors permis de réguler partiellement le débit du fleuve.

Diama

Le barrage de Diama est situé à 800 km en aval de Manantali à proximité du delta à 23 km de l’embouchure du fleuve. Son rôle est d’empêcher le sel de remonter et de servir de retenue d’eau.
Avant la construction du barrage (19865), les eaux marines salées pouvaient pénétrer, en saison sèche, au cœur de la vallée remontant quelquefois jusqu’à 450km de l’embouchure (en comparaison, l’influence de la mer sur la Seine se ressent jusqu’à 22 km en amont de Rouen).
Le barrage a été mis en exploitation en novembre 1985 avec le bouchage effectif du lit mineur du fleuve et les travaux de construction ont été achevés en août 1986.
Le barrage anti-sel de Diama est couplé à un endiguement sur les deux rives au niveau du delta. Ces endiguements du fleuve de Diama à Rosso permettent la fermeture de la retenue de Diama et la protection contre les inondations. Les travaux de construction de l’endiguement rive droite et de réhabilitation de l’endiguement rive gauche ont été achevé respectivement en avril 1992 et en décembre 1994.

Les endiguements permettent d’avoir de l’eau toute l’année et de l’eau de qualité permettant le développement d’aménagements hydro-agricoles publics et privés. Ils ont permis la diversification des cultures dans les terres du lit majeur non irrigables auparavant. On y fait notamment de la culture industrielle de canne à sucre.

Impacts négatifs

De tels aménagements ont eu inévitablement un impact sur l’environnement. Cet impact a été pris en compte par le Programme d’Atténuation et de Suivi des Impacts dur l’Environnement (PASIE) mis en œuvre depuis 1997.
Mais le principal impact est un impact sanitaire et n’a pas encore été contrôlé : la bilharziose. 8 000 personnes au moins souffrent de cette maladie, avec des taux avoisinant les 100% dans certains des 180 villages étudiés dans la vallée. La bilharziose est une maladie parasitaire des régions tropicales liée à la présence dans la circulation sanguine de vers. Les œufs sont évacués à l’extérieur par les urines ou les selles et s’ils parviennent dans une étendue d’eau douce, ils donnent des larves qui ne poursuivront leur développement qu’après passage et transformation chez un mollusque spécifique de l’espèce. Elles deviennent alors capables de traverser la peau des baigneurs et le cycle recommence.
L’apparition, en 1988, d’un foyer de bilharziose est consécutive au changement des conditions écologiques des eaux après la construction du barrage de Diama. Ces nouvelles conditions ont favorisé le développement des Biomphalaria, mollusques servant d’hôtes intermédiaires pour le parasite.
La bilharziose intestinale se caractérise par des troubles digestifs non spécifiques (diarrhée, dysenterie). Sa gravité vient du risque de blocage des vaisseaux du foie par les œufs, à l’origine de lésions analogues à une cirrhose. On dispose actuellement de médicaments efficaces en cure courte (un jour), mais ils sont onéreux pour les populations concernées. La lutte contre la maladie consiste à éviter les bains en eau douce contaminée, et à grande échelle, à détruire les mollusques

D’autres problèmes sont apparus à la suite de l’aménagement du fleuve Sénégal, des problèmes d’ordre culturel et humain.

« Personne n’est content de ces aménagements, ils donnent la bilharziose, on devient aveugle à force de repiquer dans l’eau, en plein soleil. La société d’aménagement nous prend les neuf dixièmes de nos récoltes pour payer l’eau, le pompage et les intrants. L’électricité est devenue chère ; l’eau, hier gratuite, est maintenant à payer. Il n’y a plus de poissons dans les bras du fleuve et les animaux ne peuvent plus pâturer »

Les pêcheurs se plaignent en effet que le poisson, bloqué par le barrage, ne remonte plus.

L’eau utilisée pour l’agriculture n’est plus accessible au bétail mais cette même agriculture permet d’augmenter le fourrage…
L’agriculture irriguée se révèle trop onéreuse pour une économie de crise. Pour le sorgho, par exemple, le rendement ne couvrirait même pas le coup de l’eau !

Les populations dont les villages ont été engloutis par les eaux des barrages ont dû être déplacer et doivent partager les terres avec les habitants déjà présents, ce qui induit un manque de place et des terrains plus petits.

En outre les rendements (quatre tonnes/ha de riz, deux fois par an) restent médiocres. Les sols se salinisent. Le désengagement de l’état et la politique de libéralisation, la dévaluation du franc CFA, l’augmentation du prix des intrants, le paiement de l’eau, combinés aux mauvais résultats obtenus, font de l’endettement des paysans un problème crucial.

L’aménagement du bassin du fleuve Sénégal est un projet à très long terme qui ne fait que commencer. Il reste encore la réalisation du programme cible de navigation, l’achèvement des ouvrages annexes aux barrages (endiguements et routes d’accès), l’exploitation optimale du potentiel hydro-agricole et la mise en œuvre du programme d’infrastructures de deuxième génération, à savoir : Félou, Gouina (sur le fleuve Sénégal), Gourbassi sur la Falémé et les autres ouvrages de régularisation et de relèvement de plan d’eau du fleuve Sénégal.

Mais le passage est difficile entre tradition et modernisme. Les années après barrage ont entamé une profonde révolution socioculturelle sur le fleuve…


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